Durant leur phase d’exploitation les sites extractifs offrent des paysages austères et inhospitaliers, faits de roches abruptes, d’éboulis et de poussière. Pourtant, ce sont justement ces milieux neufs, en constants bouleversements, dont ont besoin certaines espèces animales et végétales pour se développer : les espèces pionnières !

 

 

Moins d’un an avant la clôture du projet Life in Quarries, nous avons décidé de revenir à la base de notre projet en consacrant un article à un type d’espèces rares et/ou en danger ciblées par le projet : les espèces pionnières, qui profitent des milieux neufs – devenus rares dans nos paysages modernes – créés par l’industrie extractive.

 

On commence par la fin

Il est encore tôt quand un daim sort des fourrés et s’avance sur la plage de graviers de l’ancienne carrière. Face à lui, le front de taille, falaise grise, plonge dans les eaux cristallines aux teintes de turquoise et d’émeraude de l’ancien bassin de décantation, dans lequel évoluent quelques brochets.

Sous ses sabots, les cailloux crissent et roulent dans le calme empli des stridulations des criquets et des vrombissements des libellules qui dansent au raz de la surface du point d’eau.

Derrière lui, plus haut, sur une des anciennes banquettes (les couches horizontales qui forment des gradins descendant dans le fond de fosse) un renard passe, un oisillon dans sa gueule.

Photo Lucien Haquenne, carrière de la Vodelée, 2020.

Si les anciens sites extractifs peuvent se transformer en jardins d’Eden alliant étendues d’eaux permanentes, végétation luxuriante et biodiversité, ces lieux ont pourtant été, autrefois, tout le contraire du tableau champêtre qu’ils présentent aux yeux des visiteurs, quand ils sont ouverts au public (car même post-exploitation, une ancienne carrière reste un site dangereux).

Des milieux gris, rudes et hostiles sur lesquels ils faut nous pencher pour comprendre comment la nature a pu reprendre ses droits.

 

Retournons au début

Bienvenue au Far West !

Ses saloons, ses shérifs et ses convois de colons partis à la conquête d’espaces vierges où tout reste encore à faire.

Sans la volonté de ces hommes et ces femmes capables d’une adaptation peu commune, et de braver la rudesse des éléments, l’Ouest américain serait demeuré ce vaste ensemble de terres inhabitées (si, comme le gouvernement américain de l’époque, nous omettons les amérindiens) et peu fertiles.

Pourtant, si nous vouons une admiration certaine à ces épopées westerniennes et que nous avons tous entendu parler de la petite maison dans la Prairie, savez-vous que certains animaux, à l’instar de ces courageux fondateurs, sont également de véritables pionniers ?

 

En effet, en Belgique, l’activité extractive à travers l’exploitation des sols crée et récrée constamment des milieux neufs et vierges.

Pourtant, elles sont autant de terres d’opportunité pour toute une série d’espèces animales et végétales : les espèces pionnières.

Ces espèces, à haute valeur biologique, sont en effet capables de s’installer et de prospérer après un, ou une suite de bouleversement(s) majeur(s) dans des milieux instables, pauvres en matières organiques et aux conditions climatiques et édaphiques (du sol) très difficiles.

En réalité, ces conditions extrêmes enlèvent la possibilité à beaucoup d’autres espèces d’y vivre et réduit, ainsi, le nombre de prédateurs.

Mais ces pionniers vont également jouer malgré eux le rôle d’architecte, puisque leur présence va permettre à d’autres espèces plus exigeantes et moins spécialisées de progressivement revenir sur le site et ses alentours.

Comme jadis, le firent les cow-boys en développant les prémices des villes pour que le reste de la population puisse progressivement s’y installer.

Ainsi, en venant s’installer après une perturbation (ou des perturbations régulières comme c’est le cas dans les carrières en activité), ces espèces pionnières vont permettre de relancer le processus de succession écologique.

Quelles pionniers dans nos carrières ?

Parmi les espèces cibles du projet Life in Quarries, les pionniers ont la part belle ! Ainsi, de nombreuses actions de nature temporaire, comme la création de mares pionnières et de pelouses calcaires, le rafraîchissement de falaises meubles, l’installation d’abris pierreux ou la pose de plaques à reptiles leur sont dédiées.

Parmi les espèces pionnières ciblées par le projet Life in Quarries, le Crapaud calamite (Bufo calamita) reconnaissable à la ligne jaune qui traverse son dos depuis sa nuque, l’Alyte accoucheur (Alytes Obstetricians) dont la magnifique pupille verticale est mordorée de jaune et de vert ou, encore, les Algues de type characées (Alguae characea), indicatrices de la pureté des eaux, qui forment de petits tapis verts dans les points d’eaux temporaires de faible profondeur.

Mais aussi le petit Gravelot (Charadrius dubius) qui pond ses œufs dans une simple dépression créée par les pneus démesurés des camions de chantier, la Coronelle lisse (Coronella Austriaca), une couleuvre inoffensive qui se nourrit d’une autre espèce pionnière ; le lézard des murailles.

Et, enfin, de nombreuses plantes comme l’Érythrée petite centaurée (Centaurium erythraea), l’Orpin blanc, la Gnaphale blanc-jaunâtre (Gnaphalium luteo-album), le Cirse laineux (Cirsium eriophorum) et d’autres encore, qui bénéficient des milieux pionniers générés par l’activité extractive et le concept de gestion dynamique de la biodiversité développé dans le cadre du projet Life in Quarries.

Autant de « braves » colons qui trouvent dans les carrières en activité de véritables sanctuaires dont la pérennité est assurée par les actions des partenaires du Life in Quarries et la motivation des exploitants et des ouvriers des sites extractifs membres du projet.