Biologiste spécialisée en faune aquatique, Andrée Gendron est co-porte parole du mouvement citoyen québécois « projet carrière vivante ». Nous l’avons rencontrée par Skype.

 

Au-dessus ; Andrée Gendron, en-dessous ; Céline Druez notre communication manager

 

Avant tout, qui êtes-vous ?

Je m’appelle Andrée Gendron et je suis biologiste, spécialisée en faune aquatique.

Je travaille actuellement au centre Saint-Laurent, un centre de recherche fédéral à Montréal, qui se penche essentiellement sur les impacts de plusieurs facteurs anthropiques sur les écosystèmes fluviaux.

Comment avez-vous rejoint le projet carrière vivante ?

Il y a plusieurs raisons. La première est que je trouve ça important, en tant que citoyenne, de m’engager, à titre personnel, dans ma communauté.

Ensuite, je vis depuis plus de 16 ans à proximité de la carrière de la Prairie, fermée en 2017 et où, nous nous sommes souvent baladés avec mes enfants, pour explorer les lieux. C’est là que je me suis rendue compte à quel point l’endroit était riche en biodiversité et extrêmement diversifié en espèces (oiseaux de rivage sur le plan d’eau central, bernache, sternes, hirondelles, de multiples insectes, poissons et amphibiens…) alors qu’au premier regard, on dirait juste un grand tour de roche. Et, du coup, étant biologiste et, ayant déjà participé à plusieurs initiatives de restaurations de milieux ce projet me semble important et nécessaire.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet « carrière vivante » ?

Il s’agit d’un mouvement citoyen qui milite en faveur d’une restauration écologique des sites extractifs en fin d’exploitation qui tiendrait compte de la biodiversité et accorderait une plus grande place aux espèces naturelles pour le bénéfice … de tout le monde en fait !

Parce qu’il ne s’agit pas juste de biodiversité ; tous les jeunes qui habitent aux alentours de la carrière connaissent le site sans doute mieux que leurs parents, car c’est aussi un terrain de jeu, d’exploration, de découverte, de rassemblements entre amis. Et puis, les paysages, au sud de Montréal, dans la plaine Saint-Laurent, sont très « plats ». Ça apporte, donc, un changement agréable et esthétique dans le décors.

 

 

Concernant le site de la Prairie, il s’agit d’une ancienne briqueterie, fermée en 2017, et qui s’étend sur une centaine d’hectares.

Rapidement, après sa fermeture, les citoyens ont eu le pressentiment que ce grand espace vierge où la vie s’était re-développée, serait probablement transformé en quartiers résidentiels et que toutes les espèces qui y étaient revenues seraient chassées ou, même, simplement détruites. Et c’est malheureusement ce qui s’est passé quand, en 2019, la carrière a été vendue à un promoteur immobilier.

 

N’y a t’il pas, comme en Belgique, une obligation pour les exploitants de réhabiliter le site en fin d’exploitation ?

En théorie si…

En vertu du règlement de 1977 sur les carrières et les sablières, les exploitants ont l’obligation de réhabiliter les sites excavés.

Mais rien dans ce règlement n’oblige à tenir compte des habitats qui s’y sont formés, ou des espèces qui ont recolonisé les lieux. Le terme réhabilitation implique, surtout, de sécuriser le site  et de le remettre dans un état compatible avec d’autres usages.

L’exploitant doit, cependant, se conformer à l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement en vertu duquel il doit évaluer les impact des travaux sur l’environnement et fournir un rapport d’étude biologique qui déterminera notamment si des milieux humides seront détruits ou détérioriés, si les travaux affecteront « l’habitat du poisson » et si des espèces en péril sont présentes, lesquelles sont théoriquement protégées par des dispositions de la Loi fédérale sur les espèces en péril et/ou de la loi provincial sur les espèces menacées ou vulnérables.

Mais le problème est que, même s’il l’inventaire conclu à la présence d’espèces menacées, le promoteur peut, tout de même, obtenir le permis requis pour détruire ce qui existe sur le site en échange, soit, d’une compensation monétaire pour ces lieux « perdus », soit, de la création d’autres habitats humides ou – au moins – de la translocation des espèces menacées présentes sur le site.

 

 » De nombreuses espèces végétales et animales ont simplement été détruites. » 

 

Toutefois, dans le cas de l’ancienne carrière de La Prairie, la partie excavée du site n’a simplement pas fait l’objet d’un inventaire sérieux et le rapport biologique commandé par le nouveau propriétaire des lieux a conclu, avantageusement, à l’absence de poisson, de plantes aquatiques et de milieux humides là où le remblayage était prévu, et ce, malgré les photographies géolocalisées que nous avons fournies au ministère qui prouvaient le contraire.

 Le grand plan d’eau de la carrière a été asséché, les milieux humides remblayés et de nombreuses espèces végétales et animales ont simplement été détruites.

 

Quelles sont les espèces qui se développent dans les carrières au Quebec ?

Nous avons de nombreux oiseaux limicoles, ainsi que des Grands hérons (Ardea herodias), des Hirondelles de rivage (Riparia riparia), des Faucons pèlerins (Falco peregrinus)  et des Sternes pierregarin (Sterna hirundo), une espèce dont les populations ont énormément diminué à cause la raréfaction de ses habitats naturels (aires pierreuses, dépourvues de végétation au milieu de plans d’eau) et de la compétition menée par une autre espèce : le goéland à bec cerclé (Larus delawarensis).

 

On trouve, aussi, dans les sites extractifs de nombreux reptiles comme la couleuvre rayée (Thamnophis sirtalis).

Et si, en Belgique, vous avez le Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata), ici, nous avons le crapaud d’Amérique (Anaxyrus americanus) – qui même s’il n’est pas menacé, à lui aussi ,besoin de points d’eau temporaires pour se reproduire – et, dans le pourtour de la carrière de la Prairie, nous avons des habitats résiduels de la rainette Faux-Grillon (Pseudacris maculata) une espèce en péril au Québec qui aurait pu bénéficier avantageusement du potentiel d’accueil du site, s’il avait fait l’objet d’une restauration écologique…

 

Pourquoi ce manque d’intérêt gouvernemental pour les carrières au Canada ?

Il existe, à mon sens, une véritable dichotomie au Canada entre les lieux considérés comme « à haute valeur biologique » (forêts, marécages, milieux humides, etc), vastes et, surtout, sauvages, et les milieux considérés comme sans intérêts ou sans valeurs car modifiés par l’homme. Comme si pour mieux apprécier les milieux naturels il avait fallu déprécier ceux touchés par l’activité humaine… Les sites extractifs, en activité (comme en phase de post-exploitation) n’ont pas bonne presse et peu de gens s’y intéressent malgré leur intérêt pour la biodiversité.

De plus, le gouvernement conçoit toujours, à l’heure actuelle, ces sites en phase de post-production comme des lieux idéals à l’enfouissement des déchets ou de sols contaminés.

 » Il existe, à mon sens, une véritable dichotomie au Canada. » 

Mais, le problème de cette pratique, qui est presque devenue une tradition, c’est que, comme toujours, ce sont les générations suivantes qui devront vivre avec la contamination des aquifères et des sols dû à l’enfouissement de matériaux parfois plus lourdement contaminés que ce qui avait été autorisé.

Notre pays est magnifique et rempli de « grands espaces » mais, justement, les pouvoirs publics pensent qu’il y en a tant, qu’ils ne voient pas de problème dans le fait de demander une compensation financière en échange de la destruction d’une ancienne carrière qu’ils considèrent, de toute façon, comme une sorte de décharge. Et, ironiquement, ces compensations financières servent souvent à créer de toutes pièces des milieux pionniers, très semblables aux espaces qui ont été détruits, comme dans la carrière de la Prairie !

 

 

Dans un autre article, vous dites, à propos de la modernisation, en 2019, du règlement portant sur les carrières et sablières, que  » les modifications réglementaires qui ont été adoptées visaient plutôt à faciliter le recours aux sols faiblement contaminés comme matériaux de remblaiement et à priver les municipalités, et par extension les citoyens, de leur pouvoir d’influence sur le devenir de ces sites après leur vie industrielle. » 

À votre avis, pourquoi le gouvernement n’a-t’il pas pris des mesures plus « engagées » en faveur de la biodiversité ?

 

Un manque d’intérêt (comme expliqué plus haut) pour ce type de site, un agenda d’enfouissement qu’il ne fallait pas contrecarrer et puis, peut-être, une forme de paresse intellectuelle qui n’a pas fait en sorte que nos élus veuillent mettre en place d’autre façons de faire, plus modernes et respectueuses de l’environnement, et s’intéressent assez à cette problématique.

Lors de la modernisation de ce règlement, en 2019, le gouvernement québécois n’a même pas juger bon d’intégrer l’option de réhabilitation écologique obligatoire, d’une étape de concertation minimale avec les universités, les ONG ou les citoyens ou, encore, la notion de « services écosytémiques » (c’est à dire les services à valeur économique et/ou sociale, rendus par les écosystèmes à la société et qui contribuent au bien-être humain) dans le nouveau règlement. Quel manque d’avant-gardisme !

 

« Nous n’avons rien d’aussi fort et organisé que le projet Life in Quarries et cela manque cruellement ! »

Il existe bien quelques projets de protection de la biodiversité dans les carrières au Québec, mais ils viennent des industries elles-même, qui se font une fierté de pouvoir montrer qu’elles se soucient d’une cohabitation harmonieuse entre faune, flore et activité industrielle… Nous n’avons rien d’aussi fort et organisé que le projet Life in Quarries et cela manque cruellement.